Publié le 15 février 2024

L’agrotechnologie au Québec est bien plus qu’une simple modernisation : c’est une réponse stratégique pour bâtir une agriculture résiliente, durable et souveraine.

  • Les fermes verticales assurent une production locale à l’année, déjouant les contraintes de notre climat rigoureux.
  • L’IA et la robotique optimisent l’usage des ressources, réduisent les pesticides et pallient la pénurie de main-d’œuvre.
  • La technologie, de l’IdO à la blockchain, renforce la confiance en garantissant une traçabilité totale du champ à l’assiette.

Recommandation : Comprendre cet écosystème d’innovation est essentiel pour saisir les opportunités d’investissement, de carrière et citoyennes qu’il représente pour l’avenir du Québec.

Imaginer des fraises fraîches et locales en plein cœur d’un mois de janvier montréalais relevait autrefois de la fiction. Aujourd’hui, c’est une réalité qui illustre une transformation silencieuse mais profonde de nos campagnes et de nos villes. L’image traditionnelle de l’agriculture, dictée par les saisons et le travail manuel, cohabite désormais avec celle de robots désherbeurs, de drones analystes et de fermes qui poussent vers le ciel plutôt qu’à l’horizontal. Cette révolution, portée par l’agrotechnologie, est souvent présentée comme une simple course à la productivité, une collection de gadgets pour produire plus, plus vite.

Pourtant, si la véritable clé n’était pas la technologie pour la technologie, mais plutôt son rôle de réponse systémique aux défis uniques du Québec ? Face à un climat rigoureux qui limite les saisons de culture, à une pénurie de main-d’œuvre qui fragilise les exploitations et à une demande citoyenne croissante pour la transparence et l’autonomie, l’innovation agricole devient un levier stratégique. Elle ne vise pas seulement à optimiser les rendements, mais à redéfinir un nouveau pacte agricole québécois : plus précis, plus durable et fondamentalement plus résilient.

Cet article propose une immersion au cœur de cette agriculture 2.0. Nous verrons comment les fermes verticales redessinent notre souveraineté alimentaire, comment les données révolutionnent le travail dans les champs, comment la robotique offre une alternative aux pesticides et comment la technologie garantit la confiance jusqu’à notre assiette. Enfin, nous aborderons les enjeux cruciaux d’équité pour que cette transition profite à tous.

Des fraises en janvier à Montréal : la révolution des fermes verticales

La capacité à produire des aliments frais et locaux indépendamment des contraintes climatiques est sans doute l’une des promesses les plus fascinantes de l’agrotech. Au Québec, où la saison de croissance est courte, les fermes verticales émergent comme une solution stratégique pour renforcer notre souveraineté alimentaire. Ces structures à étages, en environnement contrôlé, utilisent des technologies comme l’hydroponie ou l’aéroponie pour cultiver des végétaux avec une efficacité redoutable en eau et en espace. L’exemple de La Ferme d’Hiver est emblématique : son projet de produire 1 million de kilogrammes de fraises par année, disponibles à l’année longue, illustre parfaitement ce potentiel de résilience.

Vue intérieure d'une ferme verticale montréalaise avec rangées de fraises cultivées sur plusieurs niveaux

Au-delà des fruits, des entreprises comme AquaVerti, installée au cœur de Montréal, démontrent la viabilité de ce modèle pour les légumes-feuilles. En exploitant un entrepôt de 32 000 pieds carrés fonctionnant entièrement à l’électricité, elle fournit laitues, fines herbes et roquettes aux consommateurs urbains avec une empreinte carbone de transport quasi nulle. Ces initiatives ne sont pas de simples curiosités technologiques ; elles représentent une réponse concrète à la dépendance aux importations, particulièrement en hiver, en créant des circuits courts ultra-locaux et en garantissant un approvisionnement stable, quelles que soient les conditions météorologiques extérieures.

Le fermier qui voit tout : comment les drones et les satellites aident l’agriculture québécoise

L’agriculture de précision n’est plus un concept futuriste, mais une pratique rendue possible par une vision augmentée des cultures. Grâce aux drones équipés de capteurs multispectraux et à l’imagerie satellite, l’agriculteur québécois peut désormais voir ce qui est invisible à l’œil nu. Ces technologies permettent de diagnostiquer la santé des plantes à une échelle chirurgicale, parcelle par parcelle. Un exemple concret est le projet de l’IRDA sur la détection du stress hydrique dans les cultures de bleuets nains. En analysant la température des feuilles par imagerie thermique, un drone peut identifier précisément les zones qui manquent d’eau, permettant une irrigation ciblée qui économise une ressource précieuse.

Cette collecte de données massives alimente des modèles d’intelligence artificielle qui transforment l’information en action. Comme le souligne un chercheur de l’IRDA, l’objectif est clair : « L’objectif ultime, c’est d’aller vers l’agriculture durable, avec des cartes au centimètre près. » Cette vision est soutenue par un marché en pleine explosion : selon certaines analyses, le marché de l’IA en agriculture atteindra 4 milliards de dollars américains en 2026. Pour l’agriculteur, cela se traduit par une optimisation des intrants (engrais, pesticides, eau), une réduction des coûts et une diminution de l’impact environnemental, le tout en améliorant la santé globale de ses cultures.

L’objectif ultime, c’est d’aller vers l’agriculture durable, avec des cartes au centimètre près. Ça va se démocratiser, car beaucoup de données sont disponibles gratuitement.

– Chercheur IRDA, Québec Science – L’intelligence artificielle peut-elle rendre l’agriculture plus verte?

La startup qui veut remplacer les pesticides par un robot : portrait d’une innovation québécoise

La réduction de la dépendance aux produits chimiques est un enjeu majeur pour une agriculture durable. Au Québec, une startup comme Nexus Robotics incarne cette transition grâce à la robotique. Son robot autonome, surnommé « La Chèvre », se déplace dans les champs pour identifier et éliminer les mauvaises herbes de manière mécanique, sans herbicide. Propulsé par l’intelligence artificielle et la vision par ordinateur, le robot fait la distinction entre une culture et une mauvaise herbe, agissant avec une précision que le désherbage manuel ou la pulvérisation à grande échelle ne peuvent égaler. Cette approche ciblée est doublement bénéfique : elle préserve la santé des sols et de l’écosystème, et elle répond à la pénurie de main-d’œuvre, un défi criant dans le secteur agricole québécois.

Robot autonome La Chèvre de Nexus Robotics désherbage une rangée de légumes dans un champ québécois

L’impact de cette technologie est quantifiable. L’utilisation d’un seul robot Nexus peut entraîner jusqu’à 50% de réduction des herbicides et fongicides. Cette performance n’a pas échappé à l’écosystème d’innovation québécois. Le partenariat stratégique de Nexus avec Mila, l’Institut québécois d’intelligence artificielle de renommée mondiale, témoigne de la maturité de ces solutions. Il ne s’agit plus de prototypes de laboratoire, mais d’outils concrets qui s’intègrent dans les exploitations pour augmenter la performance des cultures tout en allégeant la charge de travail et l’empreinte écologique. C’est la démonstration d’un écosystème d’innovation où recherche fondamentale et application terrain collaborent étroitement.

La blockchain dans votre assiette : la technologie qui garantit la traçabilité de votre steak

La confiance est le fondement de notre système alimentaire. Les consommateurs veulent savoir d’où vient leur nourriture, comment elle a été produite et quel a été son parcours jusqu’à leur assiette. La technologie blockchain offre une réponse robuste à cette demande de transparence radicale. Conçue comme un registre numérique infalsifiable et décentralisé, la blockchain permet de suivre un produit à chaque étape de la chaîne d’approvisionnement. De l’éleveur à l’abattoir, du transformateur au distributeur, chaque transaction et chaque déplacement sont enregistrés de manière sécurisée. Au Québec, des initiatives comme le programme de certification Aliments du Québec s’appuient sur des technologies de traçabilité pour garantir l’authenticité et la provenance des produits du terroir.

La blockchain va plus loin que les systèmes traditionnels en offrant une transparence totale à tous les acteurs de la chaîne, y compris le consommateur final, qui peut scanner un code QR sur l’emballage de son steak pour en consulter l’historique complet. Bien que son coût de mise en œuvre initial soit plus élevé, ses avantages en termes de sécurité et de rapidité de vérification sont incomparables, comme le montre l’analyse comparative suivante.

Comparaison des systèmes de traçabilité traditionnels vs blockchain
Critère Système traditionnel Blockchain
Transparence Limitée aux acteurs directs Totale pour tous les participants
Coût de mise en œuvre Modéré Élevé initialement
Temps de vérification Plusieurs jours Instantané
Risque de falsification Possible Quasi-impossible

L’agrotech, une solution pour tous ? Les enjeux d’équité de l’agriculture 2.0

Si la promesse de l’agrotechnologie est immense, son déploiement soulève une question essentielle : celle de l’équité. Ces innovations, souvent coûteuses, sont-elles accessibles à toutes les exploitations ? Le risque est de créer une agriculture à deux vitesses, où seules les grandes entreprises agroalimentaires peuvent investir dans l’automatisation et l’intelligence artificielle, creusant l’écart avec les fermes familiales et les petits producteurs qui forment pourtant le tissu de notre paysage agricole. Cette préoccupation est partagée par les experts du secteur. Selon Nicolas Deschamps, cité par Radio-Canada, les technologies sont principalement adoptées par les grosses entreprises, et il suggère que les plus petits producteurs devraient envisager un usage plus modéré et adapté à leur échelle.

Le contexte québécois est particulier : selon le Recensement de l’agriculture, on a recensé 29 380 exploitations en 2021, un chiffre stable mais qui masque une grande diversité de tailles et de modèles d’affaires. L’enjeu n’est donc pas de rejeter la technologie, mais de réfléchir à des modèles d’affaires inclusifs : coopératives d’équipement, subventions ciblées, développement de solutions « low-tech » adaptées aux petites surfaces. Assurer une démocratisation de l’innovation est la condition sine qua non pour que l’agriculture 2.0 soit synonyme de progrès pour l’ensemble du secteur, et non d’une consolidation accrue.

Nicolas Deschamps constate que les technologies sont plutôt adoptées par les grosses entreprises agricoles qui nourrissent 70 % de la population. Selon lui, les plus petits producteurs et les fermes familiales devraient avoir un usage plus modéré de l’intelligence artificielle et des nouvelles technologies.

– Nicolas Deschamps, Radio-Canada – Révolution technologique en cours dans l’agriculture

Des robots dans les champs : comment l’agrotech révolutionne l’agriculture québécoise

La révolution de l’agrotechnologie au Québec n’est pas un phénomène spontané ; elle est le fruit d’un écosystème d’innovation structuré et soutenu. Cet écosystème rassemble des startups audacieuses, des centres de recherche de pointe, des investisseurs et un soutien gouvernemental actif. La volonté politique de faire du Québec un chef de file en agrotech est claire, comme en témoigne l’annonce d’un investissement de plus de 3 millions de dollars pour 9 projets d’innovation récents. Ces fonds permettent de catalyser le développement de solutions répondant aux défis spécifiques de notre agriculture.

Au cœur de cet écosystème se trouve des initiatives comme la Zone Agtech, située à L’Assomption. Plus qu’un simple incubateur, c’est un véritable pôle de convergence qui vise à accélérer l’adoption des technologies agricoles. En créant des ponts entre les entrepreneurs, les producteurs et les bailleurs de fonds comme Financement agricole Canada (FAC), la Zone Agtech facilite le passage de l’idée au champ. Cette collaboration systémique est essentielle pour créer des solutions concrètes et adaptées aux réalités du marché. Elle assure que les innovations développées ne restent pas des projets pilotes, mais deviennent des outils accessibles et efficaces pour les producteurs du Québec et d’ailleurs.

Le cas de l’usine 4.0 en Beauce : comment l’IdO a augmenté la productivité de 20%

L’Internet des Objets (IdO, ou IoT en anglais) est le système nerveux de l’agriculture 2.0. Il s’agit d’un réseau de capteurs connectés qui collectent des données en temps réel directement dans les champs. Ces capteurs peuvent mesurer une multitude de paramètres cruciaux : l’humidité du sol, la température de l’air, le niveau de nutriments, ou même le comportement d’un troupeau. Cette information, autrefois collectée manuellement et sporadiquement, est désormais disponible en continu sur une plateforme centralisée. Pour l’agriculteur, c’est comme passer d’une consultation annuelle à un monitoring cardiaque 24/7 de son exploitation. Des cas d’application, comme l’émergence d’usines 4.0 en Beauce, montrent que l’intégration de ces données permet d’optimiser les processus de manière drastique et d’anticiper les problèmes avant qu’ils ne deviennent critiques.

L’intégration de l’IdO dans une exploitation agricole, bien que technique, peut se faire par étapes logiques. Il s’agit avant tout d’identifier les points de douleur et les opportunités d’amélioration pour ensuite déployer une technologie adaptée. Le plan suivant détaille les phases clés de ce processus.

Plan d’action : intégrer l’IdO dans votre exploitation

  1. Évaluer les besoins : Identifiez les zones prioritaires pour l’automatisation et les données les plus critiques à collecter (ex: gestion de l’eau, suivi de la santé des cultures).
  2. Installer les capteurs de base : Déployez des capteurs pour la météo, l’humidité du sol et la température afin de commencer la collecte de données fondamentales.
  3. Centraliser les données : Mettez en place une plateforme ou un logiciel pour regrouper, visualiser et analyser les informations provenant de tous les capteurs.
  4. Former les équipes : Assurez-vous que le personnel est formé aux nouveaux outils et comprend comment interpréter les données pour prendre des décisions éclairées.
  5. Analyser et optimiser : Utilisez les données collectées sur le long terme pour affiner les pratiques, ajuster les paramètres d’irrigation ou de fertilisation, et mesurer l’impact sur la productivité.

À retenir

  • Les fermes verticales sont une réponse directe au climat québécois, assurant une production locale et réduisant la dépendance aux importations hivernales.
  • La data, collectée par drones et capteurs IdO, permet une agriculture de précision qui optimise l’usage de l’eau et des intrants, rendant les fermes plus durables.
  • La robotique autonome, comme celle de Nexus, combat à la fois la pénurie de main-d’œuvre et l’utilisation de pesticides, deux défis majeurs du secteur.

L’Internet des Objets à la québécoise : des capteurs dans les champs aux villes intelligentes

L’Internet des Objets en agriculture n’est pas une fin en soi ; sa véritable puissance se révèle lorsqu’il est couplé à l’intelligence artificielle. Comme le précise le Réseau CCTT, l’analyse de données permet de passer d’une agriculture réactive à une agriculture prédictive. Les algorithmes d’apprentissage automatique peuvent anticiper les conditions climatiques, prédire l’apparition de maladies ou optimiser la gestion des ressources avec une précision inégalée. Cette vision globale offre aux exploitants des outils d’aide à la décision qui transforment la gestion d’une ferme, en particulier pour celles à forte production qui opèrent à une échelle où chaque pourcentage de gain compte.

Réseau de capteurs IoT dans un champ de blé québécois avec données visualisées en arrière-plan

Cette connectivité dépasse les frontières de la ferme. Les données collectées dans les champs peuvent alimenter toute la chaîne logistique, optimiser les transports et informer les détaillants. À plus grande échelle, une agriculture connectée est un pilier des villes intelligentes de demain, où la production alimentaire, la gestion des ressources et la consommation urbaine sont intégrées dans un système plus cohérent et durable. L’agrotech québécoise, en connectant les vastes terres agricoles aux centres urbains, ne fait pas que moderniser l’agriculture : elle dessine les contours d’un territoire plus intelligent et interdépendant.

Cette vision systémique est l’aboutissement de toutes les innovations que nous avons explorées. Pour la concrétiser, il est crucial de comprendre comment intégrer ces flux de données dans un plan global.

Pour ceux qui souhaitent prendre part à cette transformation, l’étape suivante consiste à explorer les programmes de soutien à l’innovation et à se rapprocher des pôles d’expertise comme la Zone Agtech afin de contribuer activement à l’agriculture de demain.

Rédigé par Elliot Gagnon, Elliot Gagnon est un stratège en transformation numérique cumulant 15 ans d'expérience au sein de l'écosystème technologique montréalais. Son expertise principale réside dans l'application de l'IA et de la blockchain pour créer de nouveaux modèles d'affaires pour les PME.