Publié le 12 mars 2024

La décarbonation réussie du Québec ne repose pas sur une technologie miracle, mais sur un séquençage stratégique rigoureux.

  • L’efficacité énergétique n’est pas une option, mais le préalable non négociable qui maximise le retour sur investissement de tous les autres investissements.
  • L’électrification et la biomasse sont les leviers matures pour remplacer les combustibles fossiles, tandis que l’hydrogène et le CCUS restent des solutions de niche ou d’avenir pour des besoins spécifiques.

Recommandation : Auditez vos pertes énergétiques avant de planifier tout investissement dans la production d’énergie propre.

Face à l’urgence climatique et aux cibles ambitieuses du Québec, les décideurs industriels et les gestionnaires de bâtiments sont bombardés d’options technologiques : hydrogène vert, capture de carbone, électrification massive. Cette effervescence, bien que positive, crée un bruit de fond qui masque souvent la stratégie la plus rationnelle et la plus rentable. On se précipite sur des solutions complexes et médiatisées, en oubliant les fondations d’une transition énergétique réussie.

L’erreur commune est de considérer la décarbonation comme une simple question de substitution de source d’énergie, une course à l’innovation la plus visible. Mais si la véritable clé n’était pas de produire de l’énergie propre à tout prix, mais d’abord de cesser d’en gaspiller ? Et si l’ordre dans lequel nous déployons les technologies était plus important que les technologies elles-mêmes ?

Cet article propose une approche de consultant, un cadre stratégique pour naviguer dans la boîte à outils de la décarbonation. Nous n’allons pas lister des technologies, nous allons les organiser selon un principe de séquençage pragmatique. En commençant par le levier le plus puissant et souvent sous-estimé – l’efficacité énergétique – nous construirons une feuille de route logique pour sélectionner et déployer les bonnes solutions, au bon moment, pour un impact maximal sur vos émissions et votre bilan financier.

Pour vous guider dans cette démarche, cet article est structuré comme une feuille de route stratégique, des fondations de l’efficacité aux technologies de pointe. Explorez les différentes options pour construire votre propre plan de décarbonation.

Économies d’énergie vs efficacité énergétique : la différence qui change tout sur votre facture

Avant de déployer un arsenal technologique, il est impératif de maîtriser une distinction fondamentale, souvent confondue : la différence entre économies d’énergie et efficacité énergétique. Cette distinction est le point de départ de toute stratégie de décarbonation sérieuse. Les économies d’énergie relèvent du comportemental. C’est baisser le chauffage, éteindre les lumières, utiliser moins d’eau chaude. Ces actions sont importantes, mais leur effet est variable et dépend de la discipline des occupants ou des opérateurs. Elles ne modifient pas la performance intrinsèque du bâtiment ou du procédé.

L’efficacité énergétique, en revanche, est structurelle et technologique. Il s’agit de réduire la quantité d’énergie nécessaire pour obtenir le même service. Isoler un mur, remplacer une fenêtre par un modèle triple vitrage ou installer un moteur à haut rendement sont des mesures d’efficacité. Le service rendu (une pièce à 21°C, une tonne de produit fabriquée) reste le même, mais la consommation d’énergie pour y parvenir diminue de façon permanente et prévisible. C’est ce qu’on appelle le « négawatt » : l’énergie la moins chère et la moins polluante est celle que l’on ne consomme pas.

Coupe transversale d'une maison québécoise montrant les zones d'isolation et les flux thermiques colorés

Comme le montre cette visualisation, l’efficacité énergétique agit comme une barrière structurelle qui empêche l’énergie de s’échapper. C’est un investissement initial qui génère des dividendes énergétiques continus, indépendamment des comportements. Toute stratégie de décarbonation qui ignore ce principe et se concentre uniquement sur la production d’énergie propre revient à vouloir remplir une passoire avec de l’eau précieuse. On s’attaque au symptôme (la source d’énergie) sans traiter la cause (le gaspillage).

La décarbonation commence par l’efficacité : pourquoi vous devriez isoler avant d’installer des panneaux solaires

La question n’est pas de savoir s’il faut installer des panneaux solaires, mais quand. Prioriser l’efficacité énergétique avant la production d’énergie renouvelable est le principe directeur d’une décarbonation économiquement rationnelle. L’isolation et l’étanchéité réduisent les besoins énergétiques à la source. Cela a un double effet bénéfique : une réduction immédiate de la consommation et une diminution de la taille, donc du coût, de tout système de production d’énergie (solaire, géothermique, biomasse) qui sera installé par la suite. Investir dans des panneaux solaires pour compenser les pertes d’un bâtiment mal isolé est un non-sens économique et écologique.

Au Québec, le retour sur investissement (ROI) illustre parfaitement ce principe. Un projet d’isolation et d’étanchéité bien mené offre typiquement un ROI de 3 à 5 ans, grâce aux économies directes sur la facture de chauffage. En comparaison, le ROI d’un système solaire, bien qu’en amélioration, se situe encore souvent entre 10 et 15 ans. L’audit énergétique, tel que celui proposé par le programme Rénoclimat, est l’outil stratégique qui permet d’objectiver cette démarche. Il identifie précisément les « fuites » d’énergie (ponts thermiques, défauts d’isolation, infiltrations d’air) et classe les travaux par ordre de rentabilité, permettant de concentrer les investissements là où l’impact sera le plus grand.

En somme, l’efficacité énergétique agit comme un multiplicateur de performance pour tous les investissements futurs. Chaque dollar investi dans la réduction des besoins énergétiques rend les dollars suivants, investis dans la production propre, beaucoup plus productifs. Commencer par l’enveloppe du bâtiment ou l’optimisation des procédés industriels n’est pas une simple recommandation, c’est la pierre angulaire d’une transition énergétique intelligente.

Facture d’Hydro-Québec : comment la réduire drastiquement grâce à l’efficacité énergétique

Une fois le principe de l’efficacité énergétique établi, l’étape suivante est de passer à l’action de manière structurée pour obtenir des résultats tangibles sur la facture d’Hydro-Québec. Le gouvernement du Québec, via des programmes comme Rénoclimat et LogisVert, a mis en place un écosystème d’incitatifs financiers pour guider les propriétaires résidentiels et les gestionnaires de bâtiments dans cette démarche. Le message est clair : l’État subventionne l’intelligence énergétique.

Depuis le printemps 2024, le gouvernement a d’ailleurs renforcé son soutien financier. En effet, le programme Rénoclimat a augmenté ses subventions pour les travaux d’isolation et le remplacement des portes et fenêtres, rendant l’investissement initial encore plus accessible. Cette bonification démontre une volonté politique claire de faire de l’efficacité énergétique le principal levier de la transition énergétique québécoise.

Pour un impact maximal, le plan d’action doit suivre une séquence logique, soutenue par ces programmes :

  1. L’audit énergétique (Rénoclimat) : C’est le point de départ non négociable. Un conseiller évalue votre bâtiment et produit un rapport détaillé qui chiffre les pertes et priorise les travaux. L’évaluation est en grande partie remboursable.
  2. L’étanchéité et l’isolation : Sur la base du rapport, les travaux sur l’enveloppe du bâtiment (calfeutrage, isolation du grenier, des murs, etc.) doivent être effectués en priorité. Ce sont les travaux avec le meilleur retour sur investissement.
  3. Le système de chauffage (LogisVert) : Une fois le bâtiment « étanche », on peut s’attaquer au système de chauffage. L’installation d’une thermopompe à haute efficacité est fortement subventionnée et permet des économies substantielles.
  4. La gestion intelligente (Hilo) : Pour aller plus loin, des systèmes comme Hilo, filiale d’Hydro-Québec, permettent d’optimiser la consommation en temps réel et de participer à la gestion des pointes du réseau, générant des récompenses financières.
  5. L’évaluation post-travaux : Une fois les travaux complétés, une seconde visite d’un évaluateur Rénoclimat valide les améliorations et déclenche le versement des subventions.

Suivre ce plan garantit non seulement des économies, mais aussi l’accès aux aides financières. Pour bien planifier vos actions, il est important de maîtriser les étapes clés pour optimiser votre efficacité énergétique.

Adieu gaz naturel : comment les industries québécoises s’électrifient

Une fois l’enveloppe du bâtiment ou le procédé industriel optimisé, la question du remplacement des combustibles fossiles se pose. Au Québec, avec une électricité à 99% renouvelable, l’électrification est le chemin le plus direct pour décarboner la production de chaleur. Si la thermopompe résidentielle est bien connue, son équivalent industriel représente une révolution pour de nombreux secteurs.

Les thermopompes industrielles sont capables de récupérer la chaleur fatale (chaleur perdue par un procédé) et de l’élever à une température plus élevée pour la réutiliser ailleurs dans l’usine. C’est une double victoire : on réduit la consommation d’énergie primaire (souvent du gaz naturel) et on valorise un déchet énergétique. Ces technologies sont particulièrement adaptées pour les besoins en chaleur à basse et moyenne température (jusqu’à environ 150-200°C), ce qui couvre un large éventail de procédés dans l’agroalimentaire, le textile ou la chimie fine.

Installation de thermopompe industrielle moderne dans une usine québécoise avec tuyauterie complexe et systèmes de contrôle

Cependant, l’électrification n’est pas une solution universelle. Pour les procédés nécessitant de la chaleur à très haute température (sidérurgie, cimenteries, verreries), l’électrification directe via des fours à arc ou à induction est possible mais représente des investissements massifs et des contraintes importantes sur le réseau électrique. L’arbitrage technologique devient alors crucial : il s’agit d’analyser la pertinence de l’électrification au cas par cas, en considérant la température requise, les coûts d’investissement (CAPEX) et les coûts d’opération (OPEX) par rapport à d’autres alternatives comme la biomasse.

Le guide complet du chauffage à la biomasse pour les résidences et PME au Québec

Lorsque l’électrification n’est pas techniquement ou économiquement viable, la biomasse forestière résiduelle s’impose comme une alternative mature et pertinente au Québec. Issue des résidus de l’industrie forestière (sciures, copeaux, écorces), elle offre une source d’énergie locale, renouvelable et souvent très compétitive pour le chauffage de bâtiments institutionnels, commerciaux ou pour des procédés industriels.

L’argument économique est particulièrement puissant. Une analyse de Vision Biomasse Québec montre que le coût de l’énergie issue de la biomasse est largement inférieur à celui du mazout. En effet, les coûts comparatifs montrent que les plaquettes forestières (6,57 $/GJ) ou même les granules (12,50 $/GJ) sont bien plus abordables que le mazout léger (36,54 $/GJ). Cet écart de prix permet d’amortir l’investissement initial dans une nouvelle chaufferie biomasse sur une période raisonnable, tout en réduisant drastiquement l’empreinte carbone.

Toutefois, la transition vers la biomasse doit se faire en respectant des standards de qualité élevés pour garantir un faible impact sur la qualité de l’air. Les appareils modernes sont à des années-lumière des vieux poêles à bois polluants, comme le démontre la comparaison des émissions.

Émissions de particules fines: poêles traditionnels vs modernes
Type d’appareil Émissions (g/h) Certification
Poêle traditionnel 15-30 g/h Non certifié
Poêle moderne EPA ≤2,5 g/h Certification EPA
Poêle à granules ≤1,5 g/h Combustion contrôlée

Choisir un appareil certifié EPA (Environmental Protection Agency) est une condition non négociable pour assurer une combustion propre et efficace. Cela garantit que le passage à la biomasse est un gain net pour l’environnement, tant sur le plan du carbone que sur celui de la qualité de l’air local.

Plan d’action : votre conversion du mazout à la biomasse

  1. Évaluation des besoins : Calculez les besoins thermiques de votre bâtiment et confirmez la disponibilité d’une source de biomasse résiduelle fiable dans votre région.
  2. Analyse financière : Consultez les programmes d’aide financière disponibles, comme ÉcoPerformance pour les entreprises ou Chauffez vert pour le résidentiel, pour bâtir votre montage financier.
  3. Choix de la technologie : Optez pour des granules pour de petites installations à alimentation automatisée, ou des plaquettes pour des besoins thermiques plus importants et un combustible moins cher.
  4. Installation certifiée : Engagez un installateur qualifié et détenteur des licences RBQ appropriées pour garantir une installation sécuritaire et conforme aux normes.
  5. Sécurisation de l’approvisionnement : Établissez un contrat à moyen ou long terme avec un fournisseur local de biomasse pour sécuriser vos coûts et la qualité du combustible.

Le guide complet de la gazéification pour valoriser les résidus forestiers et agricoles

Au-delà de la combustion directe, la biomasse offre une voie de valorisation plus sophistiquée : la gazéification. Cette technologie thermochimique permet de convertir des résidus solides (forestiers, agricoles, voire municipaux) en un gaz de synthèse appelé « syngaz ». Ce gaz, composé principalement de monoxyde de carbone (CO), d’hydrogène (H2) et de méthane (CH4), peut ensuite être utilisé de plusieurs manières : brûlé dans une chaudière pour produire de la chaleur, utilisé dans un moteur pour générer de l’électricité, ou purifié pour produire des biocarburants ou de l’hydrogène renouvelable.

L’avantage majeur de la gazéification est sa flexibilité. Elle permet de valoriser des biomasses de moindre qualité ou plus hétérogènes, qui ne sont pas idéales pour la combustion directe. Elle ouvre aussi la porte à la production combinée de chaleur et d’électricité (cogénération) à petite et moyenne échelle, ce qui est particulièrement intéressant pour des industries en région éloignée ou des municipalités désirant atteindre une plus grande autonomie énergétique.

Toutefois, il faut être clair sur la maturité de cette technologie. Si les principes de la gazéification sont connus depuis longtemps, son déploiement à l’échelle commerciale au Québec reste encore limité. Les projets existants sont souvent des démonstrations ou des installations de niche. Les défis techniques, notamment la purification du syngaz et la fiabilité des équipements sur le long terme, ainsi que la complexité opérationnelle, font que la gazéification est aujourd’hui une option à considérer pour des projets spécifiques avec une forte expertise technique, plutôt qu’une solution « clé en main » comme peut l’être une chaufferie à granules.

L’hydrogène vert : le ‘couteau suisse’ de la décarbonation industrielle au Québec?

L’hydrogène vert, produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable, est souvent présenté comme la solution ultime de la décarbonation. Sa capacité à stocker l’énergie, à remplacer le gaz naturel dans des procédés à haute température ou à alimenter des véhicules lourds en fait un vecteur énergétique extrêmement polyvalent. Au Québec, avec notre hydroélectricité abondante, la production d’hydrogène vert est une opportunité industrielle majeure.

Cependant, une vision stratégique impose de séparer le potentiel de la réalité actuelle. L’hydrogène n’est pas une solution miracle universelle. C’est un « couteau suisse » qui doit être utilisé pour les bonnes applications. Son utilisation pour le chauffage de bâtiments, par exemple, est un non-sens énergétique : il est beaucoup plus efficace d’utiliser l’électricité directement via une thermopompe que de la convertir en hydrogène (avec des pertes) pour ensuite le brûler. L’hydrogène trouvera sa place là où l’électrification directe est impossible ou trop complexe : dans la chimie (production d’ammoniac, de méthanol), la sidérurgie (réduction directe du minerai de fer), le raffinage et le transport lourd (camions, trains, navires).

Même dans ces secteurs, le débat sur sa pertinence n’est pas clos. Comme le souligne Bruno Pollet, une sommité québécoise du domaine, la prudence est de mise. Dans une entrevue avec La Presse, le titulaire de la Chaire de recherche en production d’hydrogène vert à l’UQTR affirmait que les études sont encore contradictoires quant au rôle de l’hydrogène pour décarboner le transport lourd. Cette nuance d’expert rappelle que l’hydrogène est une technologie d’avenir dont les modèles d’affaires et la compétitivité sont encore en construction.

À retenir

  • Séquençage stratégique : La priorité absolue est l’efficacité énergétique. Réduire la demande avant de transformer l’offre.
  • Arbitrage technologique : Pour la substitution, choisir la technologie mature (électrification, biomasse) la plus adaptée au besoin spécifique (température, coût).
  • Vision à long terme : Positionner les technologies de pointe (hydrogène, CCUS) comme des solutions d’avenir pour des émissions de procédés incompressibles, et non comme des solutions de première ligne.

Capturer le carbone : une solution miracle ou une fausse bonne idée pour l’industrie québécoise?

En bout de chaîne de la stratégie de décarbonation se trouve une technologie controversée mais potentiellement nécessaire pour les émissions dites « incompressibles » : le captage, l’utilisation et le stockage du carbone (CCUS). Il s’agit de capturer le CO2 à la sortie d’une cheminée d’usine (cimenterie, aluminerie) avant qu’il n’atteigne l’atmosphère, pour ensuite le stocker de façon permanente dans des formations géologiques profondes.

Le CCUS ne doit jamais être considéré comme une alternative à l’efficacité énergétique ou au changement de combustible. C’est une solution de « dernier recours » pour des industries dont le procédé chimique lui-même émet du CO2 (ex: la décarbonatation du calcaire dans une cimenterie), des émissions qu’aucune efficacité ou électrification ne peut éliminer. Au Québec, des projets pilotes émergent, notamment le projet de Deep Sky qui explore le potentiel de stockage géologique dans la région de Bécancour. L’idée est d’injecter du CO2 à plus de 2,3 km de profondeur pour le stockage du carbone, créant potentiellement un hub de décarbonation pour les industries de la vallée du Saint-Laurent.

Toutefois, le déploiement à grande échelle se heurte à des obstacles majeurs. Comme le souligne un atelier de l’INRS, la filière CCUS au Québec doit encore surmonter plusieurs défis : l’approfondissement des connaissances sur le potentiel de stockage réel du sous-sol québécois, la mise en place d’un cadre réglementaire et légal complet pour le transport et la séquestration, et surtout, le financement de projets dont les coûts sont astronomiques. Le CCUS reste une technologie à très forte intensité capitalistique, dont le modèle économique dépendra largement des politiques de tarification du carbone et de subventions massives.

Pour initier votre propre stratégie de décarbonation, l’étape suivante consiste à mandater un audit énergétique complet de vos installations afin d’identifier et de quantifier les gisements d’efficacité, qui sont le fondement de tout plan d’action rentable.

Rédigé par Elliot Gagnon, Elliot Gagnon est un stratège en transformation numérique cumulant 15 ans d'expérience au sein de l'écosystème technologique montréalais. Son expertise principale réside dans l'application de l'IA et de la blockchain pour créer de nouveaux modèles d'affaires pour les PME.